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Procédure administrative : Une nouvelle instruction

1. Le décret n°2016-1480 pour une justice administrative de demain (dit « JADE ») a apporté des modifications significatives au contentieux administratif, en vue de réaliser notamment les deux objectifs ci-après :

– l’accélération des procédures,

– et le renforcement des conditions d’accès au juge.

1) L’accélération des procédures

  • Le désistement d’office

2. En premier lieu, le juge se voit doté du pouvoir de prononcer le désistement d’office, dans deux hypothèses.

D’une part, lorsque le requérant n’a pas fait suite à la demande du juge de produire un mémoire récapitulatif dans le délai imparti en vertu de l’article R. 611-8-1 du CJA (article 17).

Ce dispositif pourrait avoir comme effet de multiplier les demandes de mémoires récapitulatifs en vertu de l’article précité, jusqu’alors peu utilisé par le juge administratif.

D’autre part, lorsqu’il apparaît en cours d’instance que la requête a perdu son intérêt pour le requérant, celui-ci doit alors expressément confirmer sa volonté de maintenir sa requête dans un délai fixé par le juge (article 20).

Dans les deux cas, le délai prévu par le juge ne pourra toutefois pas être inférieur à un mois, et la demande de production de mémoire ou de maintien des conclusions informera la partie des conséquences du non-respect du délai.

  • La cristallisation des moyens

3. Le décret met également en place un mécanisme de cristallisation des moyens, permettant au juge de fixer un délai au-delà duquel il ne sera plus possible aux parties de présenter de nouveaux moyens (article 16).

Ce dispositif, qui complète la jurisprudence Intercopie[1], a pour objectif d’accélérer les débats, en incitant les parties à présenter d’emblée l’ensemble de leurs moyens.

Il était déjà prévu en matière d’urbanisme, à l’article R600-4 du Code de l’urbanisme avec deux différences notables :

La demande d’interdiction de produire de nouveaux moyens était à l’initiative des parties,

Elle se justifiait dans ce contentieux particulier par la nécessité d’accélérer l’instruction étant donné la situation du pétitionnaire bénéficiaire d’une autorisation.

Ce dispositif disparait au profit du nouveau mécanisme, qui est à présent étendu à l’ensemble du contentieux administratif.

Il avait déjà été vivement contesté lors de sa proposition au sein du rapport LABETOULLE, au motif qu’il limiterait le débat contradictoire et réduirait l’accès au juge. Mais au final, la lutte contre les requêtes de pure forme sans moyen véritable a prévalu.

  • La clôture d’instruction

4. Toujours dans l’objectif d’accélérer les procédures, les articles 21 et 22 prévoient des dispositions propres à la clôture d’instruction.

Ainsi, lorsque le juge demandera, après clôture de l’instruction, des éléments ou pièces complémentaires, cette demande aura pour effet de réouvrir l’instruction seulement en ce qui concerne ces éléments ou pièces.

De plus, les mémoires produits après la clôture de l’instruction ne seront en principe plus communiqués.

Ainsi, le décret limite au maximum les possibilités de débattre après la clôture d’instruction.

  • La notification unique

5. Enfin, en cas de requête ou de défense présentée par plusieurs auteurs, la décision juridictionnelle pourra être notifiée au seul représentant unique qui sera, par défaut, le premier nommé (article 26), ce qui facilitera la communication des pièces.

 

2) Le renforcement des conditions d’accès au juge

Les conditions d’accès au juge sont renforcées, en vue de désengorger les juridictions.

  • L’obligation de décision préalable

6. En premier lieu, l’apport le plus important sur ce point est l’élargissement de l’obligation de diriger son recours contre une décision en matière de travaux publics, ce qui implique un recours préalable (article R.421-1 du CJA).

La difficulté sera celle de savoir si les requérants doivent dès à présent introduire ces demandes préalables, dès lors que les dispositions de l’article 10 ne seront applicables qu’aux recours introduits à compter du 1er janvier 2017 (article 35).

En deuxième lieu, les requérants ne pourront plus lier le contentieux par une demande faite à l’administration en cours d’instance.

En effet, le nouvel article R.421-1 disposera que « Lorsque la requête tend au paiement d’une somme d’argent, elle n’est recevable qu’après l’intervention de la décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle ».

Cette nouveauté fait échec à la jurisprudence permissive du Conseil d’Etat, qui prévoyait une possibilité de régularisation du défaut de décision préalable en introduisant une demande en cours d’instance, et à condition que l’administration ne réponde avant que le juge ne statue (CE, 11 avril 2008, Etablissement Français du Sang, n°281374).

En troisième lieu, le décret modifie l’article R.421-3 relatif au délai de recours en matière de plein contentieux.

Actuellement, l’article R.421-3 du CJA ne prévoit le point de départ du délai de recours en matière de plein contentieux, qu’à compter de la notification d’une décision expresse.

Désormais, le décret supprime la mention selon laquelle le délai contentieux court en matière de plein contentieux à compter d’une décision expresse, et modifie l’article R421-3 du CJA comme suit :

« Toutefois, l’intéressé n’est forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet :

1° En matière de plein contentieux ;

2° Dans le contentieux de l’excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ;

3° Dans le cas où la réclamation tend à obtenir l’exécution d’une décision de la juridiction administrative ».

Cette nouvelle rédaction devra s’articuler avec la possibilité prévue par l’article L.112-3 du Code des relations entre le public et l’administration et la jurisprudence, de faire courir les délais contentieux en recours de pleine juridiction, y compris en cas de décision implicite de refus, et à condition que l’accusé-réception fasse mention des voies et délais de recours.

En effet, l’article L.112-3 précité (ancien article 19 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations) dispose que toute demande adressée à l’administration fait l’objet d’un accusé de réception.

Cet accusé-réception permet, en matière de plein contentieux, de faire courir le délai de recours à l’encontre d’une décision implicite de refus, à condition qu’il comporte la mention des voies et délais de recours (CE 19 févr. 2003, Préfet de l’Hérault, n° 243327).

  • La possibilité de confier une mission de médiation à l’expert

7. Le décret comporte également d’autres modifications, notamment en matière d’instruction, confiant à l’expert une mission de médiation des parties au lieu de la mission de conciliation, soit à la demande des parties, soit avec leur accord à l’initiative de l’expert lui-même (article 23).

Cela permettra de décharger les juridictions d’un certain nombre de dossiers pour lesquels une solution amiable est envisageable.

Le décret complète ainsi les outils de médiation prévus au Code de justice administrative, ce qui s’inscrit dans la logique de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, qui a renforcé les dispositifs de médiation dans la procédure administrative.

  • Le ministère d’avocat

8. Enfin, le décret modifie les modalités de représentation des parties.

Le ministère d’avocat est obligatoire désormais pour les litiges de travaux publics et d’occupation domaniale, et, en appel, pour les contentieux d’excès de pouvoir de la fonction publique.

En revanche, la dispense actuellement prévue pour les contentieux d’aide sociale et d’aide personnalisée au logement est étendue à tous les « contentieux sociaux », c’est-à-dire les litiges « en matière de prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi ».

  • L’amende en cas de recours abusif

9. Le décret prévoit également une augmentation significative du montant maximum de l’amende en cas de recours abusif, qui passe de 3 000€ à 10 000€ (article 24).

L’ensemble de ces dispositions sera applicable au 1er janvier 2017.

Par exception, les dispositions des articles 9 et 10, du 2° de l’article 11, de l’article 27 et du 2° de l’article 30 seront applicables aux requêtes enregistrées à compter de cette date.

Sources et liens

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