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Contrats publics : Juge du référé précontractuel et substitution de motifs

Par un arrêt en date du 13 juin 2016, le Conseil d’Etat est venu rappeler les conditions dans lesquelles le juge du référé précontractuel peut, à la demande de la personne publique adjudicatrice, procéder à une substitution de motifs.

Dans cette affaire, le Tribunal administratif d’Amiens avait, à la demande du préfet de la région Nord – Pas-de-Calais – Picardie, procédé à une substitution de motifs pour rejeter le recours de la société Latitudes, candidat évincé de la procédure d’attribution d’un marché. Au motif, initialement avancé par l’administration, tiré de ce que l’offre de la société susmentionnée n’était pas la plus avantageuse, a été substitué celui tiré de ce que les capacités financières insuffisantes de cette société pour exécuter ce marché rendaient sa candidature irrégulière.

Le Conseil d’Etat rappelle, en premier lieu, les règles applicables à substitution de motifs telles qu’énoncées dans son arrêt Société Philip Frères du 17 juin 2015 (CE, 17 juin 2015, Société Philip Frères, n°388596). Ainsi, pour que le juge du référé précontractuel puisse substituer un motif tiré de l’insuffisance des capacités professionnelles, techniques ou financières d’un candidat, le pouvoir adjudicateur doit avoir, d’une part, effectivement évalué ces capacités et, d’autre part, les avoir jugé, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, insuffisantes.

Faute, pour le juge des référés du Tribunal administratif d’Amiens, d’avoir recherché si cette appréciation avait été effectuée par le préfet, l’ordonnance de référé attaquée est annulée.

Réglant l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, le Conseil d’Etat relève que le préfet s’est, effectivement, livré à l’appréciation des capacités financières de la requérante mais a, cependant, commis une erreur manifeste d’appréciation. En effet, dans la mesure où le montant du marché avait été surévalué, la capacité financière requise était également excessive. La société requérante pouvait, dès lors, utilement contester le rejet de son offre.

« 6. Considérant que selon le rapport d’analyse des offres du 15 décembre 2015 produit devant le Conseil d’Etat par le ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargé des relations internationales sur le climat, la commission d’appel d’offres avait estimé que la candidature de la société Latitudes devait être éliminée comme irrégulière, faute pour celle-ci de justifier d’un chiffre d’affaires moyen concernant des études préalables d’aménagement foncier pendant les trois années précédentes supérieur au minimum de 400 000 euros fixé dans l’avis public d’appel à la concurrence ; que, par suite, la société Latitudes n’est pas fondée à soutenir que le préfet de la région Nord – Pas-de-Calais – Picardie ne se serait pas effectivement livré à une appréciation de ses capacités financières lors de l’examen initial de sa candidature ;

7. Mais considérant que si le ministre de l’environnement produit devant le Conseil d’Etat deux conventions qui mentionnent des prix de marchés d’études d’aménagement foncier supérieurs à 40 euros par hectares, ce qui conduirait à évaluer le montant du marché litigieux à au moins 200 000 euros, compte tenu de la superficie faisant l’objet de ce marché, le marché litigieux a été attribué à la société Axis – Conseils pour un prix de 84 504 euros ; que l’offre de la société Latitudes s’élevait quant à elle à 58 200 euros ; qu’il n’est pas soutenu en défense que les offres de ces sociétés auraient été anormalement basses ; qu’il suit de là qu’en évaluant le montant estimé du marché à 200 000 euros, le préfet de la région Nord – Pas-de-Calais – Picardie a, dans les circonstances de l’espèce, commis une erreur manifeste d’appréciation ; qu’il ne pouvait ainsi en déduire qu’en ne justifiant pas d’un chiffre d’affaires annuel minimal égal à deux fois le montant estimé des prestations annuelles faisant l’objet du marché, soit 400 000 euros, la société Latitudes ne satisfaisait pas aux niveaux de capacités financières mentionnés par l’avis public d’appel à la concurrence et le règlement de la consultation et que sa candidature devait être éliminée par application des dispositions de l’article 52 du code des marchés publics ; qu’au surplus, il ne résulte pas clairement de l’avis public d’appel à la concurrence et du règlement de la consultation que les candidats auraient été tenus de justifier d’un chiffre d’affaires annuel minimal afférant aux seules prestations faisant l’objet du marché et ne pouvaient se contenter, comme l’avait fait la société Latitudes, de justifier d’un chiffre d’affaires moyen global supérieur à 400 000 euros au cours des trois dernières années d’exercice ».

Le Conseil d’Etat rappelle, enfin, que le pouvoir d’adjudicateur peut, au stade de l’examen de la valeur intrinsèque des offres, retenir des critères relatifs aux moyens en personnel et en matériel que le candidat compte affecter à l’exécution de la prestation si ces critères sont non discriminatoires et en rapport avec l’objet du marché. En revanche, en application des dispositions de l’article 53 du code des marchés publics applicables au moment des faits, les critères ayant trait aux capacités générales de l’entreprise ne peuvent fonder le choix de la personne publique qu’au stade de l’examen des candidatures.

« 10. Considérant que l’article 5.2. du règlement de la consultation prévoit que la valeur technique des offres, pondérée à 40 %, est appréciée au regard de l’expérience, des capacités professionnelles et des capacités techniques des candidats, ainsi que de la  » garantie de la qualité  » ; que s’il est loisible au pouvoir adjudicateur de retenir au stade de l’examen de la valeur intrinsèque des offres, à la condition qu’ils soient non discriminatoires et liés à l’objet du marché, des critères relatifs aux moyens en personnel et en matériel affectés par le candidat à l’exécution des prestations mêmes qui font l’objet du marché, afin d’en garantir la qualité technique, il résulte des dispositions précitées du code des marchés publics qu’il ne peut, en revanche, se fonder sur des critères portant sur les capacités générales de l’entreprise qu’au stade de l’examen des candidatures ; qu’en se fondant ainsi sur des critères propres à l’examen des candidatures pour apprécier les offres, le préfet de la région Nord – Pas-de-Calais – Picardie a méconnu les dispositions du I de l’article 53 du code des marchés publics et manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ».

Par suite, en se fondant sur des critères ayant trait aux capacités générales de l’entreprise, propres aux candidatures, pour apprécier les offres, le préfet a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

Sources et liens

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