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Limitation du risque de requalification en marché public d’un BEFA conclu par un acheteur public

Par une décision du 22 avril 2021, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a écarté la requalification en marché public d’un Bail en l’État Futur d’Achèvement (BEFA) alors même que le pouvoir adjudicateur avait formulé des exigences spécifiques à son bailleur-constructeur, notamment s’agissant de l’aménagement intérieur de l’immeuble.

En l’espèce, une personne publique autrichienne, Wiener Wohnen, avait conclu avec une société privée un contrat de location de longue durée d’un immeuble de bureaux à construire sans publicité ni mise en concurrence préalables. La Commission a saisi la Cour d’un recours en manquement car elle estimait que Wiener Wohnen avait exercé sur la conception de l’immeuble une influence qui excéderait les exigences habituelles du locataire d’un tel immeuble.

A titre liminaire, la Cour rappelle le principe général de sa jurisprudence en la matière selon lequel l’influence déterminante du pouvoir adjudicateur doit être constatée si ses spécifications vont au-delà des exigences habituelles d’un locataire à l’égard du type d’immeuble en cause.

Mais, elle y ajoute un élément important relatif aux aménagements intérieurs :

« Les demandes concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur. »

Ainsi, un pouvoir adjudicateur peut confier au bailleur-constructeur la réalisation de l’aménagement intérieur du bâtiment à construire.

La Cour répond ensuite point par point aux arguments soulevés par la Commission, permettant ainsi de mettre en exergue une grille d’analyse complète des critères de requalification d’un contrat de BEFA en marché public de travaux.

Tout d’abord, la Cour relève que l’absence de permis de construire au moment de la conclusion du BEFA représente une « pratique commerciale courante » lors de la construction de tels bâtiments et qui ne peut donc être caractérisée comme étant un élément spécifique d’un marché public de travaux.

De même, le fait pour le pouvoir adjudicateur d’avoir eu recours à des prestataires de services, d’une part, pour identifier parmi les biens susceptibles d’être loués le bien existant ou en projet le mieux à même de satisfaire ses exigences fonctionnelles et de localisation et, d’autre part, pour exercer un contrôle d’accompagnement du processus d’exécution du projet n’est pas davantage révélateur d’une influence déterminante.

Selon la Cour, il est également habituel qu’un locataire précise ses exigences quant aux caractéristiques que l’immeuble devrait réunir, qu’il s’agisse d’un bâtiment encore à construire ou d’un changement de locataire à l’occasion duquel des travaux de remise à niveau sont effectués.

Enfin, les demandes même « nombreuses et détaillées » du pouvoir adjudicateur, telles que certaines caractéristiques de l’immeuble, ou des préconisations visant à respecter et anticiper la législation environnementale, ou à garantir la conformité de l’immeuble à l’état de la technique usuel sur le marché concerné, n’emportent pas davantage qualification de marché de travaux lorsqu’elles ne vont pas au-delà des exigences habituelles d’un locataire.

Pour ces motifs, la CJUE a estimé que le contrat conclu par Wiener Wohnen n’était pas un marché public de travaux et a donc rejeté le recours de la Commission, malgré des conclusions contraires de son Avocat général. Ce faisant, elle a retenu une interprétation de la notion d’influence déterminante favorable aux pouvoirs adjudicateurs puisqu’elle se limite strictement à la structure architecturale de l’immeuble et ce, à l’exclusion de l’aménagement intérieur de l’immeuble à construire. Toutefois, une telle grille d’analyse ne nous paraît pas entièrement transposable aux contrats de VEFA dès lors que la Cour s’attache, dans la décision commentée, à déterminer si les exigences du pouvoir adjudicateur excèdent celles habituelles d’un locataire à l’égard de son bailleur, qui peuvent être bien différentes des exigences attendues par un acquéreur à l’endroit de son vendeur.

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