Espace client

Contrats publics : Portée du devoir de conseil du maître d’œuvre en cas d’évolution de la réglementation

Par un arrêt en date du 10 décembre 2020, le Conseil d’Etat est venu préciser la portée du devoir de conseil du maître d’œuvre en cas d’entrée en vigueur, en cours de chantier, d’une nouvelle réglementation applicable à l’ouvrage.

Dans cette affaire, la commune de Biache-Saint-Vaast avait conclu un marché de maîtrise d’œuvre pour la conception d’une « salle polyvalente à vocation principalement festive ».

Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 27 juillet 1999.

Les riverains ont engagé une action en réparation des préjudices liés aux nuisances sonores subies à l’occasion des manifestations organisées dans la salle. Une expertise a été ordonnée et la commune a été condamnée à les indemniser.

La commune a, dans ce contexte, engagé une action à l’encontre de son maître d’œuvre, pour manquement à son devoir de conseil.

Saisi de l’affaire, le Conseil d’Etat a précisé qu’il appartenait au maître d’œuvre de signaler au maître d’ouvrage l’entrée en vigueur, au cours de l’exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l’ouvrage, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’ouvrage :

« 4. En troisième lieu, la responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves. Ce devoir de conseil implique que le maître d’œuvre signale au maître d’ouvrage l’entrée en vigueur, au cours de l’exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l’ouvrage, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’ouvrage. Par suite, la cour administrative d’appel de Douai, dont l’arrêt est suffisamment motivé, après avoir souverainement estimé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que M. A… s’était abstenu de signaler au maître de l’ouvrage le contenu de nouvelles normes acoustiques et leur nécessaire impact sur le projet, et de l’alerter de la non-conformité de la salle polyvalente à ces normes lors des opérations de réception alors qu’il en avait eu connaissance en cours de chantier, n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits en jugeant que sa responsabilité pour défaut de conseil était engagée. »

En l’espèce, si le dossier de demande de permis de construire de la salle polyvalente déposé par le maître d’œuvre le 13 mai 1998 respectait les normes acoustiques alors en vigueur, la règlementation avait évolué avant l’achèvement des travaux. Le décret du 15 décembre 1998 relatif aux prescriptions applicables aux établissements ou locaux recevant du public et diffusant à titre habituel de la musique amplifiée, complété par l’arrêté du 15 décembre 1998 , parus au Journal officiel de la République française du 16 décembre 1998, prévoyaient l’application, aux établissements ou locaux nouveaux, des limitations de niveau de pression acoustique inférieures à celles précédemment définies, et ce dès la parution de l’arrêté précité, c’est-à-dire dès le 16 décembre 1998. Or, à cette date, comme l’avait souligné la cour administrative d’appel[1], « les travaux de la salle polyvalente, qui constitue un local nouveau entrant dans le champ d’application du décret du 15 décembre 1998 et de l’arrêté de la même date, n’avaient débuté que depuis deux mois, de sorte que, compte tenu aussi de leur durée prévue de neuf mois, il était encore temps, ainsi que l’a d’ailleurs relevé l’expert, de procéder aux modifications nécessaires par le renforcement de l’isolation acoustique de ce local, afin que le projet respecte ces nouvelles normes ».

La responsabilité du maître d’œuvre pour manquement à son devoir de conseil est donc engagée.

Le Conseil d’Etat estime, en outre, que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que «  la faute commise dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle par la commune, qui était censée être au fait de la nouvelle réglementation, mais à laquelle aucun reproche ne pouvait être adressé dans l’estimation de ses besoins ou dans la conception même du marché, ne justifiait qu’une exonération partielle de la responsabilité du maître d’œuvre à hauteur seulement de 20 % du montant du préjudice. »

Sources et liens

À lire également

Droit de la commande publique
Précisions sur la portée de l’obligation de conseil du maître d’œuvre
Par une décision rendue le 22 décembre 2023, le Conseil d’Etat a précisé que le devoir de conseil du maître...
Droit de la commande publique
Pas d’indemnisation des travaux supplémentaires indispensables réalisés contre la volonté de l’administration
Le droit à indemnisation du titulaire d’un marché conclu à prix forfaitaire au titre des travaux supplémentaires « indispensables à...
Droit de la commande publique
Précisions sur l’indemnisation du manque à gagner d’un candidat irrégulièrement évincé d’une procédure d’attribution d’une DSP
Le juge administratif admet depuis longtemps l’indemnisation du préjudice causé par une éviction irrégulière d’un candidat à une procédure de...
Droit de la commande publique
Précisions sur l’office du juge dans le cadre d’un recours dit Béziers 1
Par une décision rendue le 27 novembre 2023, le Conseil d’État a jugé que le juge du contrat méconnaît son...