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[Spécial Covid-19] – La régularité d’une assemblée délibérante dématérialisée ?

La crise sanitaire que traverse le pays, n’épargne personne, pas même la vie démocratique des 30 000 maires élus dès le premier tour des élections municipales qui s’est tenu le 15 mars dernier.

Le premier Ministre l’a annoncé, alors que le second tour avait d’ores et déjà été repoussé en raison de la pandémie, c’est au tour du premier conseil municipal (censé installer l’exécutif de la commune) d’être décalé à une date ultérieure qui ne sera pas fixée avant mi-mai.

« Cette solution que nous proposons se fonde d’une part sur l’avis du président du conseil scientifique qui a indiqué aujourd’hui que les conditions sanitaires pour l’installation des conseils municipaux prévue par le code électoral entre demain matin et dimanche n’étaient plus réunies », a précisé Edouard Philippe.

Certes, les assemblées ont l’obligation de se réunir une fois par trimestre, ce qui permet de gagner du temps dans le contexte épidémique actuel.

Mais, si les circonstances, aussi exceptionnelles soient-elles, venaient à s’installer dans la durée, il se posera irrémédiablement la question de la mise en place de réunions d’assemblées délibérantes dématérialisées, que ce soit au niveau municipal, départemental ou régional.

Seulement, le code général des collectivités territoriales rappelle les conditions dans lesquelles une assemblée délibérante peut être régulièrement tenue, à savoir un lieu défini permettant de réunir publiquement l’ensemble des conseillers (une assemblée tenue à huis-clos est tout de même prévue).

Ainsi, dans le silence de la loi, le législateur demeure mutique, sur la possibilité de tenir à distance un conseil municipal départemental ou régional, dans le cadre de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

La loi ne permet pas qu’une assemblée délibérante puisse se réunir de manière dématérialisé pour adopter des délibérations.

De surcroit, l’article 2 de l’ordonnance n°2020-347 du 27 mars 2020 adaptant le droit applicable au fonctionnement des établissements publics et des instances collégiales administratives pendant l’état d’urgence sanitaire, exclut explicitement les organes délibérants des collectivités et de leurs groupements du champ d’application de l’ordonnance du 6 novembre 2014 relative aux délibérations à distance des instances administratives à caractère collégial.

Pour autant, si un Conseil municipal venait à prendre des délibérations à distance, le risque d’annulation resterait réduit et ce pour les motifs suivants.

En premier lieu, les circonstances exceptionnelles liées à l’état d’urgence sanitaire pourraient être constitutives d’un cas de force majeure permettant de déroger aux formalités établies par le code général des collectivités territoriales.

Cette théorie centenaire, consacrée dans la décision Dame Dol et Laurent de 1919 (CE, 28 février 1919, n°61593) rappelle que les circonstances exceptionnelles permettent, sous le contrôle du juge, lorsque les événements l’exigent et pour assurer la continuité des services publics, à l’administration de ne pas respecter la légalité ordinaire.

Par exemple, cette théorie a trouvé application dans un contexte de catastrophe écologique dans une décision du Conseil d’Etat en date du 18 mai 1983 n°25308.

Le régime d’activité d’une ampleur inhabituelle qu’a connu le volcan « La Soufrière » au début du mois de juillet 1976, l’aggravation qui s’est produite au mois d’août, la menace d’une importante éruption prévue pour le 15 août, ont constitué des circonstances exceptionnelles de temps et de lieu autorisant le préfet de la Guadeloupe, dans l’intérêt de l’ordre public et compte tenu de l’urgence et du caractère limité de la zone géographique concernée, à prendre des mesures d’interdiction de la circulation, d’évacuation de la population et d’interdiction de la navigation de certains navires de commerce.

Ainsi, dans un contexte d’état d’urgence sanitaire, il ne serait pas exclu que la théorie des circonstances exceptionnelles puisse s’appliquer.

En deuxième lieu, le Maire, en vertu des dispositions de l’article L.2121-16 du code général des collectivités territoriales, assure la police de l’assemblée, c’est à dire être garant de la bonne tenue des réunions du conseil municipal, par voie d’arrêté.

L’article L.2121-7 du code général des collectivités territoriales précise à l’égard du fonctionnement du conseil municipal que :

« Le conseil municipal se réunit et délibère à la mairie de la commune. Il peut également se réunir et délibérer, à titre définitif, dans un autre lieu situé sur le territoire de la commune, dès lors que ce lieu ne contrevient pas au principe de neutralité, qu’il offre les conditions d’accessibilité et de sécurité nécessaires et qu’il permet d’assurer la publicité des séances. »

En ce sens, il est donc dans le champ de compétence du maire de pouvoir convoquer le conseil municipal sur une interface virtuelle afin de respecter les mesures de confinement imposées par l’arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d’organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

En troisième lieu, le Maire doit en tout état de cause respecter les garanties prévues aux articles L.2121-17 à L.2121-26 du code général des collectivités territoriales, notamment, d’assurer le caractère public de la séance, ainsi que le règlement intérieur afin d’assurer la possibilité pour chaque élu de participer aux débats, de présenter des amendements, d’exprimer son vote lors du scrutin et au public d’y assister.

Il serait donc possible d’envisager une retransmission de la séance sur une plate-forme publique.

Enfin, la jurisprudence Dantony nous rappelle depuis 2011 que « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ».

Ainsi, on peut légitimement estimer que si les garanties démocratiques sont respectées, tant pour les élus de l’opposition que pour les administrés, la tenue dématérialisée d’un conseil ne pourra être sanctionnée si le juge estime, au regard des circonstances exceptionnelles, que les garanties démocratiques aient été respectées.

En tout état de cause, l’article 2 de l’ordonnance n°2020-347 prévoit tout de même que les conseils d’administration ou organes délibérants, organes collégiaux de direction ou collèges des établissements publics, quel que soit leur statut, c’est à dire, les établissements publics, les autorités administratives indépendantes, la Banque de France, les groupements d’intérêt public ou bien les organes privés chargés d’une mission de service public administratif.

Ces personnes peuvent délibérer à distance conformément aux conditions prévues par l’article 3 de l’ordonnance du 6 novembre 2014 à savoir :

« Une délibération sera organisée par tout procédé assurant l’échange d’écrits transmis par voie électronique permettant un dialogue en ligne ou par messagerie. Les observations émises par chacun des membres sont immédiatement communiquées à l’ensemble des autres membres participants ou leur sont accessibles, de façon qu’ils puissent y répondre pendant le délai prévu pour la délibération, afin d’assurer le caractère collégial de celle-ci. »

Dans ces conditions, on peut légitimement contester et s’interroger sur l’exclusion explicite des assemblées des collectivités locales.

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