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Intercommunalité et contrats publics : La surprenante position du Conseil d’Etat sur les conséquences du retrait d’une collectivité membre d’un syndicat mixte

Par un arrêt du 7 novembre 2019, qui sera mentionné dans les Tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a pris position sur les conséquences du retrait d’une commune d’un syndicat mixte, sur l’exécution des contrats en cours.

Dans cette affaire, un EPCI, la communauté de communes du canton de Criquetôt-l’Esneval, était membre d’un syndicat mixte (SMITVAD), auquel elle avait transféré ses compétences en matière de traitement des déchets. Le Syndicat avait conclu des contrats pour assurer l’exécution de sa compétence, notamment un bail emphytéotique administratif et une délégation de service public ayant pour objet la conception, la réalisation, le financement et l’exploitation d’une unité de traitement des déchets ménagers et de deux installations de stockage de déchets.

Par l’effet d’une fusion, la communauté de communes du canton de Criquetôt-l’Esneval a été regroupée avec deux autres EPCI pour constituer une communauté urbaine dénommée « Le Havre Seine Métropole », compétente de plein droit en matière de collecte et traitement des déchets.

La communauté de communes du canton de Criquetôt-l’Esneval a donc été retirée du SMITVAD, en application de l’article L. 5215-22 du code général des collectivités territoriales. En parallèle, la communauté urbaine « Le Havre Seine Métropole » avait adhéré à un autre syndicat mixte, le SEVEDE, pour le traitement de ses déchets.

La question se posait en conséquence de savoir ce qu’il adviendrait des contrats passés par le SMITVAD, et en conséquence, des déchets ménagers issus de l’ancienne communauté de communes du canton de Criquetôt-l’Esneval : devaient-ils être apportés au SEVEDE (le nouveau syndicat de traitement des déchets auquel adhéraient désormais les communes membres de la communauté de communes du canton de Criquetôt-l’Esneval) ou au SMITVAD (l’ancien syndicat de traitement dont les communes membres de la communauté de communes du canton de Criquetôt-l’Esneval ne sont plus adhérentes)  ?

Le Conseil d’Etat, fait à cet égard une interprétation des dispositions du CGCT qui n’allait pas de soi et considère clairement que sauf accord contraire des parties, c’est bien à l’ancien syndicat que les déchets doivent être apportés et ce, jusqu’au terme du contrat de DSP. Ce faisant le Conseil d’Etat « valide » la décision du juge de première instance qui, en référé, avait enjoint le SEVEDE, sous astreinte, «  (…) notamment d’apporter à la société Valor’Caux, en vue de leur traitement, les déchets ménagers issus des communes membres de l’ancienne communauté de communes du canton de Criquetôt-l’Esneval et de verser à la banque Dexia Crédit local une quote-part de la redevance due au titre des deux premières échéances trimestrielles de l’année 2019, déterminée conformément aux stipulations financières de la délégation de service public. »

Ainsi, pour le Conseil d’Etat, « sauf accord contraire des parties, l’exécution de ces contrats se poursuit sans autre changement jusqu’à leur échéance … »

Cette position ne manque pas de soulever des interrogations, notamment sur la façon dont le contrat (ici une convention de DSP) va se poursuivre jusqu’à son terme avec potentiellement deux donneurs d’ordre. Car à suivre le raisonnement du Conseil d’Etat il y aurait dans cette hypothèse implicitement deux autorités délégantes : l’ancien syndicat (ici le SMITVAD) et le nouveau (ici le SEVEDE) puisque le nouveau syndicat se trouve substitué « aux droits et obligations du SMITVAD pour l’exécution des contrats en cours », « pour ce qui concerne le territoire des communes de l’ancienne communauté de communes du canton de Criquetôt-l’Esneval » (considérant 13)

Certes, le Conseil d’Etat a pris la peine de préciser que le transfert du contrat se fait « sans autre changement » jusqu’à son échéance. Toutefois une fois le transfert partiel ainsi opéré sans changement, rien n’interdit par principe, aux deux syndicats de prendre des décisions potentiellement contradictoires concernant l’exécution de la DSP, notamment alors que le pouvoir de modification unilatérale du contrat appartient à chaque personne publique.

On retient donc de cette affaire qu’un syndicat, « victime » du départ de certaines de ses collectivités au grès des regroupements intercommunaux, peux exiger des collectivités partantes (et de la nouvelle intercommunalité à laquelle elles auront adhéré) qu’elles continuent à honorer les engagements contractuels auxquels elles avaient précédemment souscrits. Un accord contraire pourra toutefois toujours être envisagé entre les collectivités, pour éviter notamment des difficultés d’exécution du contrat qui pourraient naître de son exécution avec plusieurs collectivités donneuses d’ordres.

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