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TVA sur marge, opposition du juge au raisonnement erroné de Bercy

Alors que la juridiction administrative avance un raisonnement ferme en rappelant que le régime de la TVA sur la marge n’est pas conditionné au sens de l’article 268 du Code général des impôts sur l’exigence d’identité de qualification juridique, la doctrine de l’administration soutient le contraire.

Dans le cadre d’une cession d’un terrain à bâtir, l’assiette de la TVA doit en principe être déterminée en application de l’article 268 du code général des impôts. S’il est établi que l’acquisition par le cédant a ouvert droit à déduction de la TVA, la revente doit être assise sur le prix de vente total et à défaut, la revente est soumise à une TVA sur la marge.

A l’occasion de plusieurs réponses ministérielles, la doctrine de l’administration a subordonné l’application du régime de la TVA sur la marge à la condition que la division parcellaire intervenue entre l’acquisition initiale et la cession n’ait pas entrainé un changement de qualification ou un changement physique. (Rép. min. n°91143 et 94061 du 30 août 2016 ; Rép. min n°904 : JO Sénat 7 sept. 2017 p.2809).

Néanmoins, ces interprétations de la doctrine fiscale ont été toutes condamnées par les tribunaux administratifs en estimant que la seule circonstance que le terrain à bâtir soit issu d’une division parcellaire postérieure à l’acte d’acquisition de l’ensemble immobilier ne fait pas obstacle à l’application du régime de la TVA sur la marge prévu à l’article 268 du CGI. (TA Grenoble, 14 nov. 2016, n°1403397, SARL Gepim Habitat ; TA Grenoble, 18 mai 2017, n°1502588 ; TA Montpellier, 4 déc. 2017, n°1602770 ; TA Poitiers, 4 avr. 2018, n°1602053).

Alors que la réponse apportée par le ministre des finances semblait suggérer un assouplissement de la doctrine administrative résultant du jugement du Tribunal administratif de Grenoble du 14 novembre 2016 ; force est de constater que la doctrine fiscale a maintenu l’exigence de qualification juridique. (Question écrite Vogel n°04171, JO Sénat, 17 mai 2018)

Cette doctrine conditionnant le régime de la TVA sur la marge à une identité de qualification juridique est pourtant toujours jugée illégale par des décisions de cour récemment rendues. (CAA Lyon20 déc. 2018, n°17LY03359 ; CAA Lyon 7 mai 2019 n°18LY01019).

Dans l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon en date du 25 juin 2019, le juge administratif a rappelé de nouveau qu’au sens de l’article 268 du CGI, le critère de la TVA sur marge n’est pas conditionné à une identité de qualification juridique.

En l’espèce, la société Le Rochefort, qui exerce une activité de marchand de biens a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2010 au 30 avril 2013 à l’issue de laquelle lui ont été réclamés des rappels de taxe sur la valeur ajoutée d’un montant total de 53 203 €.

La société Le Rochefort a saisi le tribunal administratif de Grenoble d’une demande tendant à la décharge de ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée et pénalités, s’agissant de la remise en cause, par l’administration fiscale, de l’application du régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge aux ventes, intervenues au cours des années 2012 à 2013, ainsi que des modalités de calcul de la marge concernant des opérations de lotissement.

« Par un jugement n° 1507355 du 23 novembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a déchargé la société Le Rochefort, s’agissant des opérations immobilières relatives aux terrains à bâtir situés sur les communes de Gières et de Varces, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2010 au 30 avril 2013 pour un montant total de 49 429 euros et des intérêts de retard y afférents et l’a déchargée, s’agissant des opérations immobilières relatives aux ventes de biens situés sur la commune de Monestier-de-Clermont, en conséquence de la réduction de sa base d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée par l’intégration dans la détermination de la marge imposable, du coût des parcelles cédées à une collectivité publique. »

Le ministre de l’action et des comptes publics a fait appel de la décision en soutenant à tort qu’en absence d’identité entre le bien acquis et le bien revendu, le régime de la TVA ne peut être appliqué ; il en va de même en cas de division parcellaire intervenue entre l’acquisition et la cession.

C’est ainsi que la Cour administrative d’appel de Lyon a considéré qu’ :

« 5. Il résulte des dispositions précitées du code général des impôts et de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 que l’application de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge aux livraisons de terrains à bâtir est conditionnée au seul fait que l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée lors de son acquisition. En particulier, contrairement à ce que soutient le ministre, en se prévalant de sa doctrine, laquelle ne saurait légalement fonder une imposition, la circonstance que les caractéristiques physiques et la qualification juridique du bien acheté ont été modifiées avant la cession est sans incidence sur l’application du régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge au sens de l’article 268 du code général des impôts, dès lors que les terrains cédés correspondent à des terrains à bâtir. »

Les acquisitions de la société requérante n’ayant pas ouvert de droits à déduction de la TVA, la société peut appliquer le régime de la TVA sur la marge prévu à l’article 268 du CGI, par conséquent la requête du ministre de l’action et des comptes publics est rejetée :

« 6. La société requérante a acquis au cours de l’année 2011, sur les territoires de la commune de Gières et Varces, des tènements immobiliers auprès de particuliers agissant en tant que tels qui n’avaient pas la qualité d’assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée. Il est constant que ces acquisitions n’ont pas ouvert à la société Le Rochefort de droits à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. Les tènements correspondants ont fait l’objet de création de parcelles à la suite desquelles les terrains dépourvus de construction ont été revendus comme terrain à bâtir par la société Le Rochefort sous le régime de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge. Il suit de là que les conditions précisées au point 5. ci-dessus étant réunies, la société Le Rochefort a pu, à bon droit, appliquer le régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge. Le moyen tiré de ce que l’opération litigieuse ne pouvait bénéficier de ce régime doit, dès lors, être écarté. »

Il conviendra ainsi à l’administration fiscale de tirer les conséquences de ce courant jurisprudentiel et de revoir sa doctrine fiscale, source d’insécurité juridique pour tout professionnel de l’immobilier. 

Sources et liens

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