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Une très récente décision mettant en œuvre le principe d’impartialité pourrait avoir des répercussions pratiques considérables pour les acheteurs mais également leurs AMO

Le principe d’impartialité est un principe dégagé par le Conseil d’Etat en 2015 (CE, 14 oct. 2015, n° 390968) dont nombre d’acteurs de la commande publique ne mesurent probablement pas encore la portée.

Dans cette ancienne affaire, le Conseil d’Etat avait considéré que le principe d’impartialité avait été violé dès lors qu’une personne, chargée d’une mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO), avait participé à la rédaction du cahier des charges et à l’analyse des offres alors qu’elle avait exercé, moins de deux ans auparavant, des fonctions de direction au sein de l’une des entreprises soumissionnaires. La procédure de passation du marché avait en conséquence été annulée.

Ce principe, dont l’origine est en réalité européenne, vient donc s’ajouter aux principes classiques de la commande publique que nous connaissons tous : égalité, transparence et liberté d’accès. Il pourrait à l’avenir en devenir l’un des plus importants.

Il est en tout état de cause certain aujourd’hui qu’il est promis à un important avenir contentieux. La très récente décision du Tribunal administratif de Cergy Pontoise du 6 novembre 2018 en est un exemple frappant.

Dans cette affaire, un syndicat de traitement des eaux usées envisageait de conclure un très important contrat de modernisation d’une usine de pré-traitement des eaux usées. Pour ce faire, le Syndicat avait confié une mission d’AMO à une société qui s’est avérée avoir des liens professionnels étroits et répétés avec l’attributaire finalement désigné par le Syndicat pour la modernisation de son usine.

Le candidat arrivé en deuxième position, connaissant manifestement l’existence de ces liens professionnels entre l’AMO et l’attributaire du marché de modernisation de l’usine, a intenté un recours en contestation de validité du contrat, au motif que le Syndicat aurait, ce faisant, violé le principe d’impartialité.

Et le tribunal administratif va suivre le raisonnement du requérant et prononcer « la résiliation du marché a effet immédiat ».

Si la sanction est lourde (en particulier l’effet immédiat de la résiliation), le raisonnement du juge est particulièrement détaillé et étayé : avant de parvenir à cette sanction, le juge prend en effet la peine de dresser la liste de l’ensemble des indices qui, réunis en faisceau, lui semblent tous concorder vers le fait que la société AMO « se trouvait en situation de conflit d’intérêt vis-à-vis (…) d’un des groupements candidats à l’attribution du marché et était en mesure, par la part qu’elle prenait dans le déroulement de cette procédure, d’exercer une influence déterminante sur son issue. Cette situation était, par elle-même, de nature à faire naître objectivement un doute légitime sur l’impartialité de la procédure, et ce alors même (…) qu’il n’est pas établi (…) que [l’AMO] a effectivement avantagé le groupement attributaire. »

Les relations professionnelles entre l’AMO et l’attributaire du marché et sur lesquelles insiste le tribunal administratif, sont au cœur de l’analyse du juge. En l’espèce, elles étaient les suivantes :

  • L’AMO a été sous-traitant de l’attributaire à l’occasion d’un précédent marché exécuté pour le compte du même Syndicat ;
  • L’AMO s’est porté à plusieurs reprises candidat en groupement avec l’attributaire, qui plus est pour des marchés lancés par le Syndicat ;
  • Les deux sociétés ont du reste été déclarées attributaires en groupement de l’un des marchés lancés par le Syndicat.

Deux questions se posent en conséquence :

  • Peut-on considérer que le principe d’impartialité eut été violé si les relations professionnelles entre l’AMO et l’attributaire avaient existé, non pas comme ici en lien avec le Syndicat, mais pour d’autres donneurs d’ordres ?
  • Qu’aurait jugé le tribunal s’il avait été possible de démontrer que le Syndicat ignorait tout de cette relation entre son AMO et l’un des candidats ?

Ces questions sont fondamentales car cette situation de conflits d’intérêts potentiels est dans la pratique extrêmement fréquente. En effet l’immense majorité (si ce n’est la totalité) des bureaux d’études qui exercent la profession d’AMO auprès des acheteurs publics sont régulièrement sollicités pour être les conseils techniques ou les maîtres d’œuvre des entreprises qui sont par ailleurs candidates à l’attributions de marchés publics. Du reste, on observera que ces questions se posent exactement dans les mêmes termes pour l’ensemble des prestataires et conseils (notamment financiers et juridiques) qui exercent des fonctions d’AMO.

Pour répondre à ces deux interrogations, il est utile de se référer à une autre affaire que nous défendions très récemment et qui a donné lieu à une décision du Conseil d’Etat le 12 septembre dernier. Dans cette affaire nous avions soutenu en première instance et devant le Conseil d’Etat, qu’il résulte des textes relatifs à la commande publique que l’acheteur public n’a pas à se transformer en détective.

Ainsi, si aucun indice du conflit d’intérêt potentiel entre son AMO et l’un des candidats ne se présente à lui, l’acheteur n’a aucune raison de douter de la véracité des déclarations sur l’honneur qui lui sont faites par tel candidat qui, en faisant acte de candidature, lui remet une déclaration (ou DC1) selon laquelle notamment il n’entre dans aucun des cas qui lui interdisent de soumissionner et qui sont prévus par l’article 48 de l’ordonnance relative aux marchés publics et donc qu’il n’est pas en situation de conflit d’intérêt faisant obstacle à sa candidature.

Et le Conseil d’Etat, dans son très récent arrêt du 12 septembre 2018 (n°420454) a suivi notre argumentation en jugeant :

« 13. Considérant, d’une part, qu’il résulte de l’instruction que le SIOM de la vallée de Chevreuse a invité les candidats à fournir une lettre de candidature de type DC1, comportant une déclaration sur l’honneur qu’ils ne rentraient dans aucun des cas d’interdiction de soumissionner prévus aux articles 45 et 48 de l’ordonnance de 2015 et qu’en l’absence de tout indice, dont il aurait alors eu connaissance, de l’existence d’une situation de nature à créer une distorsion de concurrence entre les candidats, il ne peut être reproché au SIOM de la vallée de Chevreuse de ne pas avoir pris de mesures supplémentaires pour prévenir la survenance d’une telle situation »

On déduit de ce qui précède que si tant l’AMO que les candidats à l’attribution du marché ont remis et signé un DC1 et que par ailleurs le pouvoir adjudicateur ne dispose d’aucun indice de l’existence d’une situation de nature à créer un conflit d’intérêt entre les candidats et son AMO, alors il ne peut lui être reproché de ne pas avoir pris une quelconque mesure pour éviter la situation de conflit d’intérêt.

En revanche si comme dans la situation rencontrée par le Syndicat dans l’affaire qui était soumise au tribunal administratif de Cergy Pontoise, l’acheteur a connaissance du risque d’impartialité de son AMO, alors il lui appartient de prendre toutes les mesures permettant de faire cesser le conflit d’intérêt potentiel.

Et le jugement du tribunal administratif de Cergy Pontoise est à cet égard particulièrement intéressant, puisqu’il fait œuvre de pédagogie en indiquant qu’il incombait alors au Syndicat « avant l’attribution du marché en litige, de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que son assistant à maîtrise d’ouvrage n’influence pas la procédure au profit des société OTV et Stereau. En particulier, il lui appartenait d’écarter la société Artélia des réunions de négociation conduites avec le groupement Stereau, de lui retirer la responsabilité de l’élaboration du rapport d’analyse des offres et d’en confier la rédaction aux deux autres sociétés membres du groupement d’assistance à maîtrise d’ouvrage avec l’appui, le cas échéant, de ses services techniques ou d’un consultant extérieur recruté à cette seule fin… »

Sources et liens

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