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Droit civil : La réforme du droit des contrats : équilibre entre justice contractuelle et autonomie de la volonté

L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a réécrit en totalité les articles du code civil régissant le droit commun des contrats en vigueur depuis la loi du 30 ventôse an VII.

L’objectif de cette réforme d’ampleur est de moderniser, simplifier, améliorer la lisibilité et de renforcer l’accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve. Elle entrera en vigueur à compter du 1er octobre 2016 et les contrats conclus avant cette date demeureront soumis à la loi ancienne.

Elle contient notamment plusieurs innovations majeures qui devraient amener à modifier en profondeur le droit des contrats.

  • La nouvelle définition du contrat et l’apport d’une distinction majeure entre contrat de gré à gré et contrat d’adhésion

Les nouveaux articles 1101 à 1104 du code civil abandonnent la définition du contrat comme une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire et le redéfinit en disposant que « Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. »

Les articles 1102 à 1104 nouveaux énoncent les principes de la matière en disposant que « Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi. La liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public ; que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ».

Cette dernière disposition est d’ordre public.

L’article 1110 redéfinit les contrats de gré à gré et les contrats d’adhésion par une distinction qui pourrait bien devenir une nouvelle grande « summa division » du droit des contrats.

En effet, le « contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties ». Tandis que « le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties. ».

Cette rédaction laisse supposer que le contrat de gré à gré serait celui où il existe une véritable négociation et une autonomie de la volonté tandis que le second serait un contrat imposé, qui nécessite une protection spécifique de la partie qui n’a pas pu le négocier.

Cette logique se retrouve dans les nouvelles dispositions de l’article 1171 du code civil qui dispose que : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. »

Cette disposition est un véritable moyen pour mettre à mal les clauses abusives dans les conditions générales des contrats soustraites à la négociation.

Une partie pourra même se prévaloir des dispositions supplétives de l’article 1195 du code civil qui dispose que « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

  • L’innovation majeure tenant à l’introduction de la notion de changement de circonstance imprévisible (Article 1195 du code civil)

Les nouvelles dispositions de l’article 1195 disposent que « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Cette disposition, inspirée des projets d’harmonisation européens, introduit l’imprévision dans le droit des contrats, laquelle est également une notion bien connue en jurisprudence administrative. En effet, la France était l’un des derniers pays d’Europe à ne pas connaître la théorie de l’imprévision comme clause modératrice de la force obligatoire du contrat. Elle a pour objet de lutter contre les déséquilibres contractuels majeurs qui surviennent en cours d’exécution.

Cette disposition privilégie d’abord la renégociation avant de pouvoir saisir éventuellement le juge et, en cas de saisine, le juge aurait des pouvoirs extrêmement larges puisqu’il pourra « réviser le contrat ou y mettre fin ».

Cette disposition a un caractère supplétif et les parties pourront convenir à l’avance des dispositions dérogatoires. Cela amènera certainement à la rédaction de clause d’imprévisibilité spécifique tenant à aménager l’imprévisibilité et peut-être également à des clauses venant écarter totalement la prise en compte du changement de circonstances imprévisibles, si le juge admet ce type de clause.

  • La nouvelle définition de la validité des contrats et l’abandon de la cause

Le nouvel article 1128 du code civil a abandonné la cause et a précisé que sont nécessaires à la validité d’un contrat trois conditions tenant au consentement des parties, à la capacité de contracter et au contenu licite et certain du contrat.

La suppression de la notion de cause se justifie par la difficulté de donner à la notion une définition précise qui engloberait tous les aspects, et par l’ignorance de cette notion par la plupart des droits étrangers.

  • L’introduction d’une notion large de « violence économique » dans le code civil

Les nouvelles dispositions de l’article 1143 disposent « qu’il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. » Ce texte est plus large que ce que la jurisprudence avait admis dès lors qu’il ne circonscrit pas l’abus de l’état de dépendance à la seule dépendance économique.

  • La nouvelle notion de contenu du contrat incluant ce qui relevait en droit français de l’objet et de la cause

Le contenu du contrat, qui est une notion relevant des instruments européens d’harmonisation du droit, inclut ce qui relevait en droit français de l’objet et de la cause. L’article 1162 précise sur le contenu du contrat que « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. » L’article 1163 précise le contenu de l’obligation qui a pour objet une prestation présente ou future, qui doit être possible et déterminée ou déterminable.

La prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire. Les nouvelles dispositions de l’article 1166, qui est inspiré des projets européens d’harmonisation du droit, précisent que « Lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie. »

Le nouvel article 1168 veille à rappeler que « l’équivalence des prestations n’est pas une condition de validité des contrats à moins que la loi n’en dispose autrement » et les articles suivants apportent des correctifs de nature à garantir une justice contractuelle malgré la suppression de la notion de cause.

Les nouveaux articles 1169 à 1171 disposent qu’ « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ; que toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite, ce qui consacre la jurisprudence Chronopost de 1996, et que dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation. »

  • Le contrôle du prix dans les contrats cadres et les contrats de prestation de service

Les articles 1164 et 1165, qui sont toujours dans la Sous-section sur le contenu du contrat, viennent limiter les abus dans la fixation du prix des contrats cadres et de prestation de service en obligeant le créancier à motiver le montant en cas de contestation.

L’article 1164 dispose que « dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des
parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. »

L’article 1165 prévoit que dans « les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande en dommages et intérêts. » Cette disposition vise principalement les contrats d’entreprise lorsque les parties ne l’ont pas fixé avant l’exécution.

  • L’introduction des actions interrogatoires et des notifications unilatérales

Les nouvelles dispositions ont introduit des actions interrogatoires aux articles 1123, 1158 et 1183.

L’article 1123 qui définit le pacte de préférence prévoit que « le tiers à un pacte de préférence peut demander par écrit au bénéficiaire du pacte de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir. Cet écrit mentionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat. » Cette action a pour objet de permettre au tiers de faire cesser une situation d’incertitude ou ambiguë en lui offrant la possibilité de mettre en demeure le bénéficiaire d’avoir à confirmer ou non l’existence d’un pacte de préférence et son intention de s’en prévaloir.

L’article 1158 permet à un tiers face au représentant conventionnel de vérifier l’étendue de ses pouvoirs en prévoyant que si le tiers en doute « à l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure, peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte. L’écrit mentionne qu’à défaut de réponse dans ce délai, le représentant est réputé habilité à conclure cet acte. » Cette disposition vise à assurer une plus grande sécurité juridique.

L’article 1183 instaure une action interrogatoire en matière de nullité en ouvrant le droit à une partie au contrat de demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir d’une nullité, soit de confirmer le contrat, soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. L’écrit mentionne expressément qu’à défaut d’action en nullité exercée avant l’expiration du délai de six mois, le contrat sera réputé confirmé. Cette action a pour objectif de purger le contrat de ses vices potentiels et de limiter le contentieux.

Les nouvelles dispositions ont introduit des notifications unilatérales aux articles 1223, 1226. 1164 et 1165.

L’article 1223 nouveau prévoit que le créancier peut solliciter une réduction du prix en dehors de la saisine du juge. En effet, « Le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix. S’il n’a pas encore payé, le créancier notifie sa décision de réduire le prix dans les meilleurs délais ». Il s’agit d’une sanction intermédiaire entre l’exception d’inexécution et la résolution, qui permet de procéder à une révision du contrat à hauteur de ce à quoi il a réellement été exécuté en lieu et place de ce qui était contractuellement prévu. C’est une voie intéressante qui permet de résoudre à l’amiable un litige sans passer par la voie contentieuse. Cette faculté existe déjà en droit positif à titre spécial en matière de garantie des vices cachés par l‘action estimatoire ou en matière de vente immobilière en cas de contenance erronée.

L’article 1226 nouveau donne la possibilité d’une résolution du contrat par voie de notification aux risques et périls du créancier. Cette résolution devient une faculté autonome offerte au créancier qui, victime de l’inexécution aura désormais le choix entre les deux modes de résolution judiciaire ou unilatérale. Elle s’inscrit dans une perspective d’efficacité économique du droit afin d’éviter à la victime de subir l’attente aléatoire du procès et de pouvoir tout de suite conclure un nouveau contrat avec un tiers. Cette disposition prévoit que « Le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable. La mise en demeure mentionne expressément qu’à défaut pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de résoudre le contrat. Lorsque l’inexécution persiste, le créanciernotifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. Le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l’inexécution. »

Comme cela a déjà été examiné, l’article 1164 prévoit que « dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. »

De même, l’article 1165 dispose que « dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande en dommages et intérêts. »

  • La codification des négociations, des avant-contrats et de la notion de l’offre et de l’acceptation

Les articles 1112 à 1124 ont codifié la jurisprudence sur les obligations en matière de négociations, d’avant-contrats tels que le pacte de préférence et la promesse unilatérale et la notion de l’offre et de l’acceptation.

Ces dispositions rappellent notamment en matière de négociation que l’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. Il met à la charge une obligation d’information en disposant que celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Néanmoins, ce devoird’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.  L’article 1112-1 définit comme d’une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

  • Les sanctions de l’inexécution du contrat

Le nouvel article 1217 du code civil regroupe les sanctions de l’inexécution du contrat autour de 5 sanctions tenant à :

– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;

– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;

– solliciter une réduction du prix ;

– provoquer la résolution du contrat ;

– demander réparation des conséquences de l’inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées et des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter. Les pouvoirs du juge s’exerceront toutefois dans le cadre délimité par les demandes des parties en application du principe du dispositif qui préside au procès civil.

Sources et liens

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