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Emprunts structurés : Condamnation de Dexia pour manquement à son obligation d’information et de mise en garde

Par un jugement n° 11/07236 en date du 26 juin 2015, le TGI de Nanterre a condamné la banque Dexia Crédit Local à la réparation du préjudice subi par la commune de Saint Cast Le Guildo du fait du manquement à son obligation d’information et de mise en garde.

La commune avait souscrit auprès de ladite banque treize prêts à taux fixe, cinq prêts à taux variable EURIBOR, et deux prêts à taux variable TAM (taux annuel monétaire).

A compter de l’année 2010, et du fait de l’évolution du taux de change EURO/CHF à la baisse en raison de la dépréciation de l’euro, la banque réclamait à la commune un taux d’intérêt de 8,21%, et une indemnité de remboursement anticipé égale à 4 727 000 euros alors que le capital restant dû par la Commune s’élevait à 3 427 490,82 euros.

Dans un jugement en date du 26 juin 2015 (RG : 11/07236) du TGI de Nanterre, DEXIA / SAINT-CAST-LE-GUILDO, les juges ont précisé l’obligation d’information pesant sur la banque.

En premier lieu, les juges ont clairement distingué le contrat d’emprunt structuré des contrats de SWAP en analysant les caractéristiques du contrat litigieux.

Ils ont considéré que le produit souscrit est un contrat complexe mais qu’il n’a pas la nature de contrat financier en précisant « qu’il s’évince de ces éléments que le produit souscrit constitue un contrat de prêt complexe, dont les caractéristiques et les risques n’en font certes par un contrat financier par nature, dès lors que l’obligation essentielle de l’emprunteur demeurait celle de restituer les fonds prêtés. Il n’en demeure pas moins que ces caractéristiques et ces risques ne pouvaient être appréhendés que par un emprunteur averti ou conseillé par un professionnel de la finance de marché. ».

En deuxième lieu, le juge a retenu que le banquier est tenu à une obligation d’information lorsque l’emprunteur est averti et une obligation d’information renforcée lorsque l’emprunteur est non averti tendant à mettre en garde sur le risque manifeste d’endettement excessif ou les difficultés pour faire face à l’obligation de remboursement.

Il précise que la preuve du caractère averti peut être rapportée par tout moyen et le juge définit la personne avertie comme la personne morale ou physique qui présente des qualités lui permettant d’appréhender la portée exacte des engagements qu’elle souscrit.

Dans cette affaire le juge a examiné l’expérience de l’emprunteur et a retenu que la Commune n’avait jamais conclu auparavant de contrat d’emprunt structuré.

Le juge a examiné les compétences de l’élu, adjoint aux finances, et des agents chargés des finances et a constaté qu’ils n’avaient pas de compétence spécifique en la matière.

Le juge a même utilisé ses pouvoirs d’enquête prévus aux articles 199, 203, 205 et 255 du code de procédure civile pour apprécier le niveau de connaissance des intervenants et le degré d’information qui avait été fourni par la banque.

Le juge a retenu un manquement au regard des motifs ci-après.

Dans un premier temps, le TGI a apprécié les caractéristiques du contrat litigieux, et a considéré que :

« La fausse allégation des défenderesses montre par conséquent, pour le moins, que la formule du calcul du taux est sujette à interprétation, ce qui est un facteur incontestable de complexité.

Il convient également de relever que dans la charte de bonne conduite précitée, les établissements bancaires signataires au nombre desquels figurait Dexia Crédit Local se sont engagés à ne plus proposer certains produits structurés, considérant la nécessité de limiter les risques liés à la difficulté pour les collectivités d’anticiper leur évolution. Parmi ces produits figurent ceux comportant des références à la valeur relative des devises, comme en l’espèce.

Il s’évince de ces éléments que le produit souscrit constitue un contrat de prêt complexe, dont les caractéristiques et les risques n’en font certes pas un contrat financier par nature, dès lors que l’obligation essentielle de l’emprunteur demeurait celle de restituer les fonds prêtés. Il n’en demeure pas moins que ces caractéristiques et ces risques ne pouvaient être appréhendés que par un emprunteur averti ou conseillé par un professionnel de la finance de marché. »

Dans un second temps, les juges ont précisé qu’une banque est tenue à l’égard de ses clients non avertis « à une obligation d’information renforcée tendant à les mettre en garde lorsque le prêt comporte pour l’emprunteur un risque manifeste d’endettement excessif ou de difficultés pour faire face à son obligation de remboursement ».

En l’espèce, le TGI a considéré que le caractère averti de la commune de Saint Cast Le Guildo n’était pas prouvé, aux motifs qu’elle n’avait jamais conclu auparavant de contrat du même type que celui en litige, qu’aucun élément n’était fourni sur les compétences du maire à la date de la conclusion du contrat. Les juges du TGI de Nanterre ont donc considéré qu’il ne pouvait être retenu que la commune avait une expérience particulière en la matière :

« Il résulte, en outre, de l’examen de l’ensemble de la documentation qu’il n’est nulle part fait mention du caractère potentiellement illimité de l’augmentation du taux d’intérêt et que ne sont à aucun moment envisagées les situations les moins favorables dans lesquelles le taux pouvait largement excéder les taux du marché dans l’hypothèse d’un franchissement significatif du point de barrière.

Même le test de sensibilité invoqué par la banque et dont elle ne prouve au demeurant par la réception par la commune, ne permet pas de présenter cet inconvénient et d’exploiter l’effet de levier ; en effet, il n’envisage qu’une hypothèse de baisse du cours à 1,35 bien éloignée de la baisse réellement intervenue à compter de l’année 2010. 

S’agissant des informations et mises en garde qui auraient pu être délivrées lors de la rencontre du 22 janvier 2007, M. Louët se souvient seulement d’avoir été en relation avec la commune à trois ou quatre reprises. Il a par ailleurs déclaré en parlant du taux de prêt proposé, qu’il n’imaginait pas que cela pourrait partir « à vau l’eau ». Il a rappelé que son travail ne consistait pas à concevoir les produits proposés mais à identifier les besoins des communes et à faire en sorte que Dexia, prêteur historique des collectivités locales, continue de l’être. M. Tanguy a quant-à-lui précisé que de façon générale, les communes se déterminaient en fonction de leur analyse des marchés financiers et des documents remis. Il est donc impossible de considérer qu’ils aient pu verbalement mettre en garde leurs interlocuteurs sur les risques de dégradations du taux d’intérêt du contrat finalement souscrit.

Toutefois, même si cette baisse devait être envisagée par la banque comme une hypothèse au titre de son obligation de mise en garde, et même si la banque a manifestement failli à cette obligation en l’espèce, il n’est produit aucun élément quelconque démontrant que la baisse du cours de change était anticipée comme une certitude ou même une forte probabilité par l’ensemble des professionnels des marchés financiers en janvier 2007 ».

Les premiers juges ont par conséquent conclu que :

« Il en résulte que la banque avait une obligation d’information et de mise en garde sur l’ensemble des caractéristiques du prêt litigieux, y compris ses aspects les moins favorables de nature à placer la commune en difficulté pour exécuter ses obligations. »

S’agissant du préjudice subi, ce jugement précise que :

« Le préjudice né du manquement par l’établissement de crédit à son obligation d’information et de mise en garde résulte de la perte d’une chance pour l’emprunteur de ne pas contracter et d’ainsi éviter d’avoir à supporter les aspects défavorables dont il n’a pas été informé. »

En l’espèce, le Tribunal a évalué cette perte de chance à 50% du surcoût d’intérêts dus à compter de 2010 jusqu’à 2014 date du présent jugement, soit 826 260 euros par rapport à une indemnité de sortie de 4 727 000 euros, ce qui représente environ que 17,50% de montant de ladite indemnité.

Sources et liens

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