Espace client

Contrats : Le nouveau recours TROPIC ouvert aux tiers sous conditions

Par un arrêt du 4 avril 2014, Département du Tarn et Garonne (n°358994), le Conseil d’Etat a opéré un très important revirement de jurisprudence en permettant dorénavant à toutes les catégories de tiers au contrat de saisir le juge administratif d’un recours de plein contentieux en vue de contester la validité du contrat ou de certaines de ces clauses non réglementaires, mais sous conditions.

Dans son arrêt rendu sous la forme la plus solennelle, le Conseil d’Etat :

Ä  renonce à sa jurisprudence Martin (CE, 4 août 1905) qui autorisait les tiers au contrat administratif à présenter uniquement un recours pour excès de pouvoir dirigé contre les actes détachables du contrat ;

Ä  maintient sa jurisprudence Cayzelle (CE, Ass., 10 juillet 1996) qui autorise les tiers à exercer un recours pour excès de pouvoir contre les clauses réglementaires du contrat, ces clauses étant, par nature, divisibles du contrat (CE, Sect., 8 avril 2009, association Alcaly) ;

Ä  restreint, pour ce qui concerne les candidats évincés, la définition de l’intérêt à agir et l’opérance des moyens susceptibles d’être présentés dans le cadre du recours Tropic tels qu’ils étaient jusque là définis (CE, Ass., 16 juillet 2007, société Tropic Travaux signalisations ; CE, Avis, 11 avril 2012, société Gouelle, n°355446)

En effet, il convient désormais de distinguer parmi les tiers au contrat, les membres de l’assemblée délibérante, le préfet et les « autres » tiers. Pour cette dernière catégorie le recours en contestation de la validité du contrat est dorénavant soumis à un double filtre qui appellera, à ne pas douter, encore certaines précisions, à savoir : l’intérêt à agir et l’opérance des moyens qui permettra au juge du contrat de mettre en œuvre un large pouvoir de modulation des effets de sa décision sur le contrat administratif en cours d’exécution.

Si le Préfet et les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, peuvent invoquer tout moyen à l’appui du recours, les autres tiers (et donc les concurrents évincés) ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office.

L’ouverture du recours TROPIC est donc soumise à conditions. Si de « nouveaux » tiers peuvent dorénavant exercer un recours en contestation de la validité du contrat, cette nouvelle voie de droit est encadrée et a conduit, en définitive, le Conseil d’Etat à resserrer les conditions de recevabilité et d’efficience du recours TROPIC jusque là ouvert aux candidats évincés.

Ainsi :

« tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ; que cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité ;

que  les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d’une demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l’exécution du contrat ;

que ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi ;

que la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu’à l’occasion du recours ainsi défini ; que, toutefois, dans le cadre du contrôle de légalité, le représentant de l’Etat dans le département est recevable à contester la légalité de ces actes devant le juge de l’excès de pouvoir jusqu’à la conclusion du contrat, date à laquelle les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet. »

Les pouvoirs du juge sur le contrat sont nombreux et varient en fonction, là encore, de la catégorie des requérants et de la nature des vices susceptibles d’être établis. Le Conseil d’Etat précise que :

« saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l’auteur du recours autre que le représentant de l’Etat dans le département ou qu’un membre de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d’un intérêt susceptible d’être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu’il critique sont de celles qu’il peut utilement invoquer, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier l’importance et les conséquences ;

qu’ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat ; qu’en présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci ;

qu’il peut enfin, s’il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu’il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice découlant de l’atteinte à des droits lésés. »

Ce nouveau recours est ouvert contre les contrats signés à compter du 4 avril 2014.

Sources et liens

Conseil d'Etat, 4 avril 2014, Ass., Département de Tarn et Garonne, n° 358994

Voir notre article à paraître dans la revue Le Moniteur du 25 avril 2014 précédant l’interview de Monsieur Bertrand DACOSTA, Rapporteur Public

http://www.lemoniteur.fr/165-commande-publique/article/actualite/24053337-marches-publics-extension-du-recours-tropic-a-tous-les-tiers

À lire également

Droit de la commande publique
Précisions sur la portée de l’obligation de conseil du maître d’œuvre
Par une décision rendue le 22 décembre 2023, le Conseil d’Etat a précisé que le devoir de conseil du maître...
Droit de la commande publique
Pas d’indemnisation des travaux supplémentaires indispensables réalisés contre la volonté de l’administration
Le droit à indemnisation du titulaire d’un marché conclu à prix forfaitaire au titre des travaux supplémentaires « indispensables à...
Droit de la commande publique
Précisions sur l’indemnisation du manque à gagner d’un candidat irrégulièrement évincé d’une procédure d’attribution d’une DSP
Le juge administratif admet depuis longtemps l’indemnisation du préjudice causé par une éviction irrégulière d’un candidat à une procédure de...
Droit de la commande publique
Précisions sur l’office du juge dans le cadre d’un recours dit Béziers 1
Par une décision rendue le 27 novembre 2023, le Conseil d’État a jugé que le juge du contrat méconnaît son...