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Environnement : Le principe de précaution s’applique aussi aux DUP

Le Conseil d’Etat a rendu le 12 avril 2013 un arrêt d’assemblée par lequel il applique le principe de précaution à un projet ayant fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique.

Etait concerné le projet de ligne électrique à très haute tension (400 000 volts) « Cotentin-Maine », notamment destinée à alimenter la future nouvelle centrale nucléaire « Flamanville 3 ».

Plusieurs riverains ainsi que des associations environnementales ont attaqué l’arrêté du ministre de l’écologie portant, d’une part, déclaration d’utilité publique du projet en vue de l’institution de servitudes et, d’autre part, mise en compatibilité de documents d’urbanisme locaux.

Le Conseil d’Etat a rejeté l’ensemble de leurs prétentions relatives à l’incompétence du ministre, à l’insuffisance de l’étude d’impact, à l’irrégularité de l’enquête publique, à divers vices de procédure, à la violation du droit de propriété ou encore à la rupture d’égalité au détriment des producteurs d’énergie renouvelable.

Il convient de s’attarder sur le moyen tiré de la violation du principe de précaution qui a également été rejeté par la Haute juridiction administrative.

Pour ce faire, et après avoir cité les articles 1er (droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé) et 5 de la Charte de l’environnement (principe de précaution), le Conseil d’Etat énonce un considérant de principe expliquant la méthode d’examen du projet au regard du principe de précaution, d’abord par l’autorité étatique compétente pour prononcer la DUP, puis le cas échéant par le juge :

« Considérant qu’une opération qui méconnaît les exigences du principe de précaution ne peut légalement être déclarée d’utilité publique ; qu’il appartient dès lors à l’autorité compétente de l’Etat, saisie d’une demande tendant à ce qu’un projet soit déclaré d’utilité publique, de rechercher s’il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement ou d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l’état des connaissances scientifiques, l’application du principe de précaution ; que, si cette condition est remplie, il lui incombe de veiller à ce que des procédures d’évaluation du risque identifié soient mises en œuvre par les autorités publiques ou sous leur contrôle et de vérifier que, eu égard, d’une part, à la plausibilité et à la gravité du risque, d’autre part, à l’intérêt de l’opération, les mesures de précaution dont l’opération est assortie afin d’éviter la réalisation du dommage ne sont ni insuffisantes, ni excessives ; qu’il appartient au juge, saisi de conclusions dirigées contre l’acte déclaratif d’utilité publique et au vu de l’argumentation dont il est saisi, de vérifier que l’application du principe de précaution est justifiée, puis de s’assurer de la réalité des procédures d’évaluation du risque mises en œuvre et de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans le choix des mesures de précaution ».

C’est donc bien une véritable méthode d’examen en plusieurs étapes successives que le Conseil d’Etat pose par la présente décision.

Au cas particulier, le Conseil d’Etat estime que le principe de précaution doit être appliqué au regard des risques de leucémie chez l’enfant vivant à proximité de champs électromagnétiques de basse fréquence. Toutefois, il juge que le maître d’ouvrage de la ligne électrique a pris des dispositions pour évaluer ce risque en prévoyant un dispositif de suivi des ondes et un suivi médical après la mise en service de cette ligne. En outre, il considère que le maître d’ouvrage avait pris garde de retenir un tracé impliquant un minimum d’habitations alentour et s’était engagé à racheter les habitations situées à moins de 100 mètres de la ligne. Au regard de ces circonstances, le principe de précaution n’a pas été méconnu.

Le principe de précaution doit également être pris en compte au titre de la méthode du bilan coûts-avantages permettant d’apprécier l’utilité publique du projet :

« Considérant qu’un projet relatif à l’établissement d’une ligne électrique à très haute tension ne peut légalement être déclaré d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social ou l’atteinte à d’autres intérêts publics qu’il comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’il présente ; dans l’hypothèse où un projet comporterait un risque potentiel justifiant qu’il soit fait application du principe de précaution, cette appréciation est portée en tenant compte, au titre des inconvénients d’ordre social du projet, de ce risque de dommage tel qu’il est prévenu par les mesures de précaution arrêtées et des inconvénients supplémentaires pouvant résulter de ces mesures et, au titre de son coût financier, du coût de ces dernières ».

Le Conseil d’Etat applique cette méthode au cas particulier et retient que :

« eu égard aux mesures prévues pour atténuer ou compenser l’impact de cette ligne sur l’environnement et ses risques potentiels d’impact sur la santé, ni les inconvénients subis par les personnes résidant à proximité du tracé de la ligne  » Cotentin-Maine « , ni l’impact visuel des ouvrages sur les paysages traversés, ni leurs éventuels effets sur la faune et la flore, ni enfin le coût de l’opération, y compris les sommes consacrées aux mesures visant à assurer le respect du principe de précaution, ne peuvent être regardés comme excessifs et de nature à lui retirer son caractère d’utilité publique ».

Remarquons que cette jurisprudence du Conseil d’Etat confirme de manière solennelle le rapprochement entre l’application du principe de précaution et les risques pour la santé humaine, dont on pouvait déjà découvrir les prémisses dans son arrêt « SFR » en date du 8 octobre 2012 (n° 342423) en matière d’antennes relais.

Sources et liens

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